LES OBSTACLES A LA RECONNAISSANCE DE LA FAUTE GRAVE DE L’AGENT COMMERCIAL

Il arrive qu’à l’appui de la faute grave, les mandants allèguent des faits qui n’ont jamais été invoqués avant la rupture du mandat alors que leur commission s’est inscrite dans une certaine durée. En pareilles circonstances, les juges ont tendance à douter de la véracité des circonstances alléguées en partant du principe que des faits rendant impossible la poursuite du contrat doivent être immédiatement reprochés à l’agent commercial.

C’est ainsi, par exemple, que la Cour d’appel de Caen qui dans un arrêt du 9 mai 2019 (Glineur/Rey Surgelés, n° 17/2305) a considéré que le défaut d’envoi de rapport trimestriel par l’agent n’est pas fautif car il n’a jamais suscité la moindre critique de la part du mandant ni de mise en demeure de produire les documents demandés.
L’analyse de la Cour de Montpellier est identique s’agissant d’une absence de critique concernant une insuffisance de chiffre d’affaires (15 juin 2004 Baldini/Epsilon, RG n° 03/2185) ou des reproches de menaces et de violences formées après l’assignation en paiement de l’agent commercial (25 janvier 2012 Bourtoire/Pastor, n° 10/8015). En règle générale, les griefs formulés pour la première fois dans la lettre de rupture sont défavorablement accueillis par les juridictions et on peut citer, à titre d’exemple, l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 25 janvier 2012 (Guarisco Fashion/Melane, n° 2012/26) portant sur des difficultés relationnelles alléguées par le mandant.

De même, lorsque le mandant propose à l’agent commercial le règlement d’une indemnité de cessation de mandat, il ne peut utilement se rétracter ensuite en soutenant que la cessation des relations contractuelles s’expliquerait par une faute grave de l’agent privative d’indemnité au sens de l’article L134-13-1 du Code de Commerce.

Hormis l’hypothèse où le mandant n’a eu connaissance des faits fautifs qu’après la résiliation du mandat (Cass. Com. 14 février 2018 n° 16-26037 ; 24 novembre 2015, n° 14-17745) et auquel cas il peut exciper de la faute grave, les juridictions de fond considèrent que le mandant ne peut légitimement se raviser. En effet, les juges estiment que la proposition de règlement de l’indemnité de cessation de mandat vaut reconnaissance de l’absence de faute grave privative d’indemnité. En pareille circonstance, l’attitude des juges est tellement sévère à l’égard des mandants déloyaux que les litiges, le plus souvent, ne sont même pas portés devant les Cours d’appel et s’arrêtent au stade de la première instance.

Les exemples de jugement abondent et, à titre d’exemple, on peut citer le Tribunal de Commerce de Dijon qui écarte l’insuffisance d’activité dans une décision du 8 novembre 2018 (Picard/Aurlane n° 20170825), le Tribunal de Commerce de Cannes pour un refus de l’agent commercial d’exécuter le préavis (9 août 2018, Dantzer/Unlimited, n° 2018F239) ou encore la Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de Carpentras pour un reproche de vente de champagne à un grossiste approvisionnant des soldeurs (15 juin 2007, Crespi/BLD France, n° 07/659), le Tribunal de Commerce de Nice au sujet d’une absence de compte rendu d’activité (Drai/Inottica, n° 2004F01083) ou encore le Tribunal de Commerce d’Antibes (26 juillet 2002 Geoffroy/société Les Domaines Bernard, n° 02.1148) qui relevait avec justesse que « …la société SLDB était consciente du préjudice qu’elle occasionnait à Monsieur Geoffroy puisqu’elle lui a proposé le versement d’une indemnité compensatrice de 20.000 Fr […] la société SLDB est mal fondée aujourd’hui à invoquer une faute grave à l’encontre de Monsieur Geoffroy et ce, alors même que le courrier valant notification de fin de contrat ne mentionne aucun grief […] c’est de parfaite mauvaise foi que la société SLDB tente de se soustraire à ses obligations, en arguant d’une faute grave à l’encontre de Monsieur Geoffroy, sans en démontrer l’existence… »

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