LA RUPTURE DU MANDAT D’AGENT COMMERCIAL DU FAIT DES AGISSEMENTS DU MANDANT

Lorsque le mandant ne respecte pas ses obligations, l’agent commercial peut, en application de l’article L134-13-2 du Code de Commerce, prendre l’initiative de la rupture des relations contractuelles sans être privé de l’indemnité légale de cessation de mandat ni de l’indemnité compensatrice de préavis inexécuté.

Dans ce cas de figure, le droit à indemnité est préservé (Section 1) et les exemples de circonstances imputables au mandant abondent (Section 2).

SECTION 1 : Un droit à indemnité préservé

Avant la loi du 25 juin 1991, la jurisprudence avait reconnu ce droit à l’agent commercial à travers la notion de « rupture détournée du mandat » qui est maintenant consacrée par l’article L134-13-2 du Code de Commerce.

    §1 Le principe :

Le droit à indemnité de l’agent commercial est préservé lorsqu’il prend l’initiative de la cessation du contrat en raison de « …circonstances imputables au mandant », ce qui vise toutes les hypothèses où le mandant viole ses obligations ou ne met plus son mandataire en mesure d’exécuter le contrat. Dans ce cas de figure, le mandant espère échapper au règlement de l’indemnité en ne prenant pas l’initiative de la rupture obligeant alors l’agent à la constater lui-même, en application de l’article L134-13-2 du Code de Commerce.

En pratique, les manquements du mandant les plus souvent observés sont des entraves à l’exécution du contrat par l’agent, la violation de l’exclusivité, le non-paiement des commissions et la modification unilatérale du contrat et ces circonstances autorisent l’agent à prendre l’initiative de la rupture du mandat et préservent son droit à indemnité.

Normalement, la décision de l’agent commercial de mettre un terme à l’un de ses mandats pour des raisons de convenance personnelle est privative d’indemnité de cessation de mandat en application de l’article L134-13-2 du Code de Commerce. Puisque l’agent commercial décide de renoncer à la valeur patrimoniale que représente son mandat, il est logique que sa décision opère abandon de l’indemnité.

Mais la situation est tout autre lorsque ce sont les agissements du mandant qui obligent l’agent à prendre l’initiative de la rupture du mandat. Le texte de l’article L134-13-2 du Code de Commerce précise que l’indemnité reste acquise à l’agent commercial si la décision de rompre est due à des circonstances imputables au mandant. On entend par « circonstances imputables au mandant » toutes les hypothèses où le mandant viole ses obligations ou ne met plus en mesure l’agent commercial d’exécuter son contrat.

    §2 La charge de la preuve :

Lorsque le mandat d’agence commerciale est rompu et que le droit à indemnité est contesté, c’est à la partie qui est à l’initiative de la cessation du mandat d’établir la réalité de ses allégations.

C’est le cas lorsque c’est l’agent qui est à l’initiative de la rupture du mandat quand le mandant ne respecte pas ses obligations. Mais cette action ne doit pas être entreprise imprudemment puisque la charge de la preuve de l’imputabilité de la rupture pèsera alors sur l’agent. C’est lui en effet qui, en cas de contestation, devra fournir aux juges la preuve des faits reprochés au mandant et qui l’ont amené à rompre son mandat. Ainsi, en cas de rupture fondée sur l’abandon de certaines productions sans fourniture de produits de substitution, c’est à l’agent de prouver la disparition des produits par comparaison entre les catalogues ou  tarifs des années précédentes (CA Aix-en-Provence 5 septembre 2012 Vaissié/Lecico France, arrêt n° 2012/324). En cas de reproche de tarif hors marché, l’agent droit prouver qu’ils sont supérieurs à ceux de la concurrence et que c’est pour cette raison que les clients n’achètent plus (CA Aix-en-Provence 13 février 2002 Angles/Editions Quo Vadis).

C’est ainsi également que lorsque l’agent se fonde sur la violation de son exclusivité, il doit prouver les contacts frauduleux entretenus par le mandant avec la clientèle et l’existence des ventes qui lui ont ainsi été détournées (CA Aix-en-Provence 20 octobre 2016 Traversari/spcs Pourrez, arrêt n° 2016/414 ; 30 juin 2010 Dulout/Satplan, n° 2010/301).

Si l’agent s’avère dans l’incapacité de rapporter la preuve des circonstances imputables au mandant visée par l’article L134-13-2 du Code de Commerce, les juges assimileront alors la rupture à une démission de sa part et il se trouvera alors privé de l’indemnité de cessation de mandat.

SECTION 2 : Les hypothèses les plus fréquentes de rupture

Il s’agit pour l’essentiel de situations où le mandant ne respecte plus ses obligations découlant du caractère d’intérêt commun du mandat.

     §1 Les entraves du mandant à l’action de l’agent :

  – La survenance d’une telle situation peut surprendre car le contrat d’agent commercial est fondamentalement un mandat d’intérêt commun impliquant un devoir de loyauté renforcé des parties. Son but est la constitution et l’exploitation en commun d’une part de marché, chacun des partenaires bénéficiant des efforts de l’autre : pour le mandant en réalisant un chiffre d’affaires et pour l’agent par la perception de commissions. Chacune des parties au contrat doit donc s’abstenir de quelque comportement que ce soit qui puisse porter atteinte à la clientèle commune ainsi qu’à l’entreprise de son partenaire.

De plus, il est essentiel de rappeler que l’agent commercial est exclusivement rémunéré par des commissions sur le chiffre d’affaires qu’il réalise avec la clientèle qu’il a constituée et entretenue pour le compte de son mandant. Toute atteinte à cette part de marché entraîne pour lui, ipso facto, une perte correspondante de rémunération.

Bien entendu, dans le cadre de l’intérêt commun, le mandant décide de l’organisation de son entreprise et des méthodes de traitement de la part de marché, mais il doit concilier ses propres intérêts avec ceux de son agent commercial, en prenant toute mesure utile pour préserver la clientèle ou la part de marché traitée par l’agent. S’il demeure parfaitement libre par exemple d’abandonner certaines de ses productions, de modifier ses conditions de paiement, ses délais de livraison ou ses tarifs, c’est à la condition que ces mesures soient compatibles avec la préservation de la clientèle traitée par l’agent commercial.

A défaut, la jurisprudence considère que le mandant viole les dispositions de l’article L134-4 du Code  de Commerce, en cessant de mettre l’agent commercial en mesure d’exécuter son mandat. Le mandant se rend alors responsable de la rupture des relations contractuelles et doit régler à l’agent commercial l’indemnité de cessation de mandat et l’indemnité compensatrice de préavis inexécuté, prévues par les articles L134-12 et L134-11 du Code de Commerce.

  – Dans les affaires, les exemples d’entraves abondent et il peut s’agir aussi bien d’action que d’abstention de la part du mandant.

C’est ainsi que le mandant se rend coupable de la rupture des relations contractuelles lorsqu’il empêche l’agent de visiter la clientèle en ne lui adressant plus les collections (CA Aix-en-Provence 25 janvier 2012, Guarisco Fashion/Melane, arrêt n° 2012/26) ne lui envoie plus les coupons-réponses des clients ou leurs coordonnées (CA Aix-en-Provence 9 avril 2015 Comptoir Régional des Extincteurs/Demont, arrêt n° 2015/148 ; 5 septembre 2003 Rane/Lepesant, arrêt n° 441/2003), ou abandonne certaines de ses productions sans fournir à l’agent de produit de substitution (Cass. Com. 6 novembre 2012, pourvoi n° 11-25481 ; CA Aix-en-Provence 5 septembre 2012 Vaissié/Lecico France, arrêt n° 2012/324).

La situation est identique lorsque le mandant dégrade volontairement ou involontairement la part de marché traitée par l’agent en lui imposant de négocier à des tarifs hors marché (CA Aix-en-Provence 5 septembre 2019 SAS Lebrun/Prime, arrêt n° 2019/298 ; Caen 9 mai 2019 Glineur/Rey Surgelés, n° 16-274 ; Aix-en-Provence 13 février 2002 Angles/Editions Quo Vadis), ou se trouve dans l’incapacité financière de mettre en production les commandes enregistrées par l’agent (CA Aix-en-Provence 11 décembre 2014 Teisseire/SA Caddie Strasbourg, arrêt n° 2014/510), ou refuse de soumissionner aux appels d’offre des clients du territoire de l’agent (CA Lyon 23 octobre 2008, BDP/Fontanex, arrêt n° 07/193), ou provoque son propre déréférencement en n’exécutant pas les accords financiers annuels en découlant (CA Aix-en-Provence 5 septembre 2012 Vaissié/Lecico France, arrêt n° 2012/324).

Les juges attachent donc une particulière importance à l’obligation faite au mandant de mettre l’agent commercial en mesure d’exécuter son mandat. Même lorsque le contrat comporte une clause par laquelle le mandant se réserve le droit de confier ou non ses nouveaux produits à l’agent, la Cour de Cassation considère dans un arrêt du 6 novembre 2012 (précité) qu’elle ne le dispense pas de lui fournir des produits de substitution si les autres productions confiées à l’agent sont abandonnées.

§2 La violation de l’exclusivité de l’agent :

L’exclusivité est très souvent accordée à l’agent commercial car elle est une condition de l’efficacité de sa prospection. Elle ne doit pas être confondue avec l’exclusivité des VRP ou des commerciaux salariés par laquelle ils doivent consacrer l’essentiel de leur activité au bénéfice d’un unique employeur.

Pour l’agent commercial, l’exclusivité se définit comme le monopole de la représentation du mandant dans l’univers qui lui est contractuellement reconnu et qui est délimité par la nature des produits ou services, le territoire et la clientèle. Par l’exclusivité, le mandant garantit à l’agent commercial le monopole des contacts avec la clientèle et il reçoit ainsi l’assurance d’être la seule personne habilitée à présenter l’offre du mandant et à négocier sa commercialisation.

L’exclusivité interdit donc au mandant d’intervenir directement ou indirectement dans l’univers confié en exclusivité à l’agent commercial. Il ne peut solliciter la clientèle par lui-même ou ses salariés et doit faire respecter l’exclusivité par les autres agents commerciaux ou par son réseau (Cass. Com. 14 juin 2005, n° 03-19150 ; 8 mars 2005, n° 02-20878 ; 5 octobre 2004, n° 02-17231). A défaut, la jurisprudence considère que la violation de l’exclusivité conférée à l’agent commercial est constitutive d’une faute du mandant qui lui rend imputable la fin des relations contractuelles.

En pareille situation, le mandant est condamné à régler à l’agent commercial l’indemnité compensatrice de préavis prévue par l’article L134-11 du Code de Commerce et l’indemnité de cessation de mandat prévue par l’article L134-12 du même Code (CA Aix-en-Provence 20 octobre 2016 Traversari/SPCS Pourrez, arrêt n° 2016/414 ; Nîmes 10 janvier 2013 Benito France/Dauvergne, arrêt n° 9 ; Montpellier 8 janvier 2013 Pastor/SA Bourtoire, arrêt n° 7 ; Aix-en-Provence 30 juin 2010 Dulout/Satplan, arrêt n° 2010/301).

§3 Le non-paiement des commissions de l’agent :

La rémunération de l’agent commercial est le résultat d’un processus souvent long et aléatoire et la ponctualité de son règlement par le mandant nécessite une particulière vigilance de la part de l’agent.

Faut-il en effet rappeler que l’agent commercial est exclusivement rémunéré par des commissions qui naissent bien avant leur exigibilité, lorsque l’agent a exécuté ses propres prestations auprès du client, ce qui a amené celui-ci à commander et le mandant à livrer les produits ou à exécuter les prestations de services, à les facturer puis à en encaisser le prix à l’échéance convenue ?

La prospection ayant conduit à la conclusion de l’affaire génératrice de commission a été généralement exécutée aux seuls frais de l’agent commercial qui, en sa qualité de travailleur indépendant, assume seul ses frais de déplacement, d’hébergement et ses charges sociales… En outre, il s’écoule parfois des mois entre l’action de l’agent et l’exigibilité de sa commission et il est donc légitime de sa part d’exiger un règlement ponctuel et régulier de sa rémunération.

Bien conscient de la précarité de la situation de l’agent, les cours et tribunaux considèrent que le paiement par le mandant « à bonne date » des rémunérations dues à son mandataire constitue l’une de ses obligations essentielles. S’il n’y satisfait pas, la jurisprudence estime que le mandant se rend coupable d’une rupture de fait des relations contractuelles (Cass. Com. 19 octobre 2009, n° 08-17607 ; 7 juillet 2009, n° 08-13129 ; 23 juin 2004, n° 02-17311). Cette situation, en application de l’article L134-12-2 du Code de Commerce, autorise l’agent commercial à prendre l’initiative de la rupture des relations contractuelles car il s’agit de l’une des « circonstances imputables au mandant » visée par ce texte et lui ouvre droit au règlement de l’indemnité légale de cessation de mandat prévue par l’article L134-12 du Code de Commerce (CA Montpellier 24 janvier 2012 SA Bourtoire/Pastor, arrêt n° 309 ; Lyon 18 mars 2011 Eurotech/Gros, arrêt n° 10/00781 ; Versailles 21 janvier 2010 Fonbonnat/Edena, arrêt n° 35 ; Aix-en-Provence 10 mars 2006 Carosia/TBA RG n° 04-10500).

§4 La modification unilatérale du contrat

La volonté du mandant d’imposer unilatéralement à l’agent une modification substantielle du contrat est constitutive d’une rupture des relations contractuelles imputable au mandant. En effet, la modification unilatérale du contrat est contraire aux articles 1134 ancien et 1103 du Code Civil qui exigent l’accord du cocontractant.

Dès lors, entraîne la rupture du contrat imputable au mandant la modification unilatérale du secteur géographique de l’agent commercial (Tribunal de Commerce de Marseille 3 juin 2014 Rey/SMH Equipements, RG n° 2013/00452), le retrait de certains clients (CA Aix-en-Provence 31 mars 2005 Châteaux en Bordeaux/Geoffroy, arrêt n° 2005/2020), la réduction du taux de commissions (Cass. Com. 11 juin 2002 n° 98-21916 ; 2 juillet 1979 n° 78-11280 ; CA Grenoble 10 septembre 1998 Magne/Azurel Equipement, n° 594). Encoure la même sanction l’abandon par le mandant, sans remplacement, des produits ou prestations de services contractuellement confiés à l’agent commercial (CA Aix-en-Provence 5 septembre 2012 Vaissié/Lecico France, arrêt n° 2012/324 ; 28 décembre 2011 Leclere /HDS, n° 2011/524).

Ce principe d’intangibilité et de force obligatoire du contrat est désormais tempéré par le nouvel article 1196 du Code Civil qui permet aux parties au contrat, en cas de changement de circonstance imprévisible rendant excessivement onéreuse l’exécution de leurs obligations, de demander une renégociation du contrat et, en cas d’échec de la négociation, de demander au juge de procéder à l’aménagement du contrat. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe.

En raison de sa relative nouveauté, la jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les conditions d’application de ce texte mais il est fort probable qu’il restera sous-utilisé. Compte tenu des délais d’obtention d’un jugement définitif au fond (ce qui parfois peut prendre plusieurs années) incompatible avec la vie des affaires, la pratique aura probablement recours aux facultés de résiliation classique prévues par les articles 1224 à 1226 du Code Civil.

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