Par un très intéressant arrêt du 21 avril 2022 (RG n° 20/01018), la Cour d’appel de Dijon rappelle que c’est notamment à la lueur de l’intérêt commun que doivent s’apprécier les évolutions des gammes de produits confiés à l’agent commercial.
Les évolutions de gammes sont en effet inhérentes à la relation d’agence commerciale, puisque le monde économique est en perpétuel évolution. Généralement, mandants et agents s’y s’adaptent sans difficulté et les gammes de produits évoluent en fonction des besoins du marché. La nature d’intérêt commun du mandat d’agence commerciale fait que ces ajustements interviennent souvent informellement, au fur et à mesure des besoins, dans l’intérêt réciproque et bien compris de l’agent commercial et du commettant.
Mais en cas de litige, la preuve des extensions de gammes confiées à l’agent commercial peut poser des difficultés en l’absence d’écrit, ce qui a donné lieu à la mise au point d’un système de solutions par la Cour de Cassation. Si la convention initiale ne prévoit pas les modalités selon lesquelles l’objet du contrat peut-être modifié, la jurisprudence considère que le consentement des parties peut être légitimement déduit de leur comportement dans l’exécution du contrat. C’est le cas par exemple lorsqu’un nouvel agent commercial se substitue à l’ancien pour exécuter le mandat (Cass. Com. 19 décembre 2006, n° 05-16265) ou en cas d’extension de secteur géographique qui dépasse les prévisions de la clause de non-concurrence post-contractuelle (Cass. Com. 1er mars 2012, n° 15-12482). En revanche, la stipulation dans le contrat initial de la nécessité d’un avenant ou d’un écrit pour constater la modification contractuelle prime sur l’interprétation du comportement des parties (Cass. Com. 16 novembre 2022, n° 21-20764 ; 19 octobre 2022, n° 21-378).
Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 21 avril 2022, les juges d’appel ont successivement examiné la situation à la lueur de l’intérêt commun et de l’attitude des parties. Ils relèvent en effet que c’est à juste titre que l’agent commercial a rappelé « …que le mandat confié à l’agent commercial est un mandat d’intérêt commun, ce qui justifie que son objet soit adapté à l’évolution de l’offre de la société [mandante] qui s’est diversifié au cours des années pour ne plus se limiter à la vente de fils à tricoter, et s’étendre à celle d’accessoires divers, de même que la clientèle de revendeurs a évolué pour prendre en compte notamment l’essor grandissant de la vente en ligne. En dépit de l’absence d’écrit matérialisant cette évolution, l’intervention de la société [agent commercial] sur des produits et des clientèles même initialement prévue s’est faite dans l’intérêt bien compris de la société [mandante] elle-même, qui a directement et sciemment bénéficié de cette activité… ». C’est donc grâce à ces évolutions de gammes qu’agents et mandants ont pu maintenir et développer la part de marché qui leur était commune et dont l’exploitation était l’objet même du contrat d’agence commerciale.
Les juges d’appel relèvent en outre que l’agent commercial a normalement été commissionné par le mandant sur les ventes de produits litigieux, ce qui prouve que la commune intention des parties était bien d’en confier la commercialisation à l’agent. Ils relèvent avec une grande justesse que leur paiement ne peut procéder d’une erreur du mandant car « …le versement de ses commissions s’est à l’évidence fait en toute connaissance de cause de la part de l’intimée, qui ne peut sérieusement arguer d’une erreur, car elle procédait, préalablement à leur versement, à la vérification du montant et de l’assiette des commissions, et que les règlements contestés ont été effectués des années durant, ce qui exclue l’éventualité d’une maîtrise ponctuelle ». N’oublions pas en effet que c’est forcément après des vérifications comptables évidentes que le mandant verse la rémunération due à l’agent commercial. En application de l’article R134-3 du Code de Commerce, le mandant doit adresser très régulièrement à l’agent commercial un récapitulatif des opérations lui ouvrant droit à commission afin de lui permettre de vérifier et facturer sa rémunération. A cette fin, il doit donc régulièrement faire le compte des ventes ouvrant droit à rémunération en fonction de la nature des produits vendus et du lieu de localisation des clients concernés.
L’analyse que fait la Cour d’appel de Dijon des circonstances du litige et de l’attitude des parties mérite une pleine et entière approbation.