BILAN DE QUATRE ANS D’APPLICATION DE LA NOUVELLE DEFINITION DE L’AGENT COMMERCIAL (1/2)

BILAN DE QUATRE ANS D'APPLICATION DE LA NOUVELLE DEFINITION DE L'AGENT COMMERCIAL (1/2)

Comme le précise le texte de l’article L134-1 du Code de Commerce, qui définit l’agent commercial, le pouvoir de négocier est un trait fondamental de son  statut juridique « L’agent commercial est un mandataire qui… est chargé de façon permanente, de négocier et éventuellement de conclure des contrats de ventes,… au nom et pour le compte de producteurs, industriels… ».

Mais encore fallait-il s’entendre sur le sens à donner au mot négocier, ce qui a donné lieu à une vive controverse opposant les praticiens du droit et la doctrine à la Cour de Cassation ce qui, pendant plus de dix ans, a privé de nombreux agents commerciaux de toute indemnisation en cas de cessation de leurs relations contractuelles avec leurs mandants.

Pour la doctrine et les praticiens, le pouvoir de négociation devait être largement défini et, comme le proclamait la Cour d’appel de Paris dans une décision du 1er octobre 2020, il « …ne saurait se limiter à celui de baisser les tarifs et de modifier les conditions générales de ventes du mandat, puisque ainsi que le soutiennent à juste titre les intimés, la négociation dont est chargé l’agent commercial s’entend de l’ensemble des démarches, discussions et rencontres organisées par lui en vue de trouver des prospects et de les inciter à conclure un contrat avec le mandant ».

En effet, la mission première de l’agent commercial, découlant du caractère d’intérêt commun de son mandat, est la constitution en commun d’une part de marché dont l’exploitation profitera à l’agent et à son mandant. La définition de la négociation devait donc englober tous les actes de l’agent commercial propres à la recherche et à la fidélisation de la clientèle et ne se réduisait donc pas à des simples discussions tarifaires avec les clients (Encyclopédie Juridique de l’Agent Commercial, Ed. Juris-Agence, P. Joly, p 30).

En revanche, depuis 2008, la Cour de Cassation avec une étonnante rigueur estimait que le pouvoir de négociation résidait exclusivement dans le pouvoir du mandataire de faire varier les tarifs et les conditions de ventes des produits ou des services qu’il était chargé de commercialiser pour le compte de son mandant (Cass. Com. 8 avril 2014, n° 12-22246 ; 27 octobre 2009, n° 08-2009 ; 20 mai 2008, n° 07-13488).

Cette définition du pouvoir de négocier était cependant considérée comme exagérément restrictive car elle ne reflétait pas la réalité des usages et des pratiques professionnelles car il est très rare qu’un agent commercial puisse, de sa propre autorité, négocier les prix ou les conditions de ventes fixées par son mandant. De plus, elle ne rendait pas compte du rôle des agents commerciaux dans le commerce intégré qui implique plusieurs niveaux de négociation.

Sous la pression des juridictions de fond, la Cour de Cassation avait alors été amenée à définir plus largement la notion de négociation qui pouvait résider dans la conduite par l’agent de réunions de négociations de prix (Cass. Com. 3 avril 2012 n° 11-13527) ou dans une « …marge de manœuvre sur une partie au moins de l’opération économique » (Cass. Com. 9 décembre 2014, n° 13-22476). La jurisprudence avait ensuite oscillé entre adoucissement et durcissement, sans jamais véritablement abandonner l’exigence de variation de prix ou de modification des conditions de ventes (Cass. Com. 19 juin 2019, n° 18-11727 ; 15 mars 2017, n° 15-18434 ; 20 janvier 2015, n° 13-24231). La position de la Cour de Cassation était déconnectée des réalités économiques en raison de l’intégration croissante du commerce de détail qui implique de plus en plus souvent un double niveau de négociation : les référencements, discussions tarifaires, conditions de vente et accords annuels sont généralement conduits par les directions commerciales des entreprises mandantes alors que les agents commerciaux sont chargés de visiter les surfaces de ventes pour présenter l’offre du mandant et les inciter ainsi à commander les produits à des conditions qui ont déjà été négociées.

Malheureusement, et contre toute logique, la Cour de Cassation va rester sourde aux critiques de la pratique et va persister dans sa définition erronée et périmée du pouvoir de négociation de l’agent commercial. Il faudra donc attendre que la CJUE tranche la question par un arrêt du 4 juin 2020 rappelant que le pouvoir de négociation de l’agent commercial ne réside pas seulement dans le pouvoir de modifier les prix ou les services du mandant. La réaction de la Cour de Cassation était fortement attendue et l’arrêt rendu le 2 décembre 2020 (18-20231) a bien confirmé l’abandon de l’ancienne jurisprudence tant critiquée.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 3 mai 2018 est cassé pour violation de l’article L134-1 du Code de Commerce qui définit la profession d’agent commercial, pour avoir jugé que la personne qui revendiquait le statut n’avait pas la qualité d’agent commercial au motif « …qu’il ressort des catalogues des produits et prix de vente de juin à décembre 2011 que M.O… n’était en mesure de modifier aucun des éléments de l’offre contractuelle des éditions Atlas, s’agissant des quantités, des prix et des modalités de paiement […] ne justifiant pas, dans ces conditions, avoir disposé effectivement d’une quelconque marge de manœuvre sur une partie au moins de l’opération économique, les prix de cession, les barèmes de remises du mandant et les conditions générales de distribution et de vente étant définis par le mandant, il ne démontre pas qu’il avait le pouvoir de négocier les contrats au nom et pour le compte de son mandant, ce qui exclue toute application du statut d’agent commercial ».

Depuis, toutes les décisions de Cours d’appel, frappées de pourvoi, faisant application de l’ancienne définition du pouvoir de négociation de l’agent commercial sont cassées (Cass. Com. 7 septembre 2022, n° 20-20625 ; 12 mai 2021, n° 19-17042 ; 10 février 2021, n° 19-13604 ; 2 décembre 2020, n° 18-20231).

C’était aussi l’occasion pour la Cour de Cassation d’adopter une définition juridique de l’agent commercial enfin conforme aux réalités économiques. Selon les derniers arrêts rendus par la chambre commerciale de la Cour de Cassation (Cass. Com. 2 janvier 2023, n° 21-18683 ; 2 décembre 2020, n° 2020, n° 18-20231 ; 23 juin 2021, n° 18-24039), l’agent commercial se définit juridiquement comme « …un mandataire, personne physique ou morale qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de service, est chargé de façon permanente, de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de service au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux, quoi qu’ils ne disposent pas du pouvoir de modifier les prix de ses produits ou services ou les conditions des contrats conclus par le mandant… ».

Il s’agit ni plus ni moins que de la définition de l’agent commercial posée par l’article L134-1 du Code de Commerce, auquel la chambre commerciale de la Cour de Cassation a ajouté le critère posé par l’arrêt de la CJCE du 4 juin 2020.

En pratique, le pouvoir de négociation de l’agent commercial se manifeste donc par des actes accomplis au nom et pour le compte du mandant, sans qu’il s’agisse nécessairement d’actes de vente ou de la conclusion de contrats. Il peut s’agir de réunions de négociation de prix de même que la proposition à la vente des produits du mandant. Il peut revêtir également la forme d’actes de négociation de conventions.

Le pouvoir de négociation découle également de l’organisation d’entretiens avec les acheteurs, de propositions d’implantation dans les magasins, de la visite des clients, de la formulation d’offres commerciales, de la proposition de catalogues. Enfin débarrassée de la notion erronée de variation de prix ou de conditions de vente, la Cour de Cassation s’est orientée vers une définition large et générale du pouvoir de négociation de l’agent commercial qui réside fondamentalement dans l’accomplissement, pour le compte du mandant, des actes juridiques propres à l’entretien ou au développement de la part de marché du commettant.

C’est bien le sens des derniers arrêts rendus par la chambre commerciale de la Cour de Cassation en la matière lorsqu’elle considère que le pouvoir de négociation de l’agent commercial se manifeste au travers des démarches qu’il accomplit auprès de la clientèle : visites, entretiens, présentation des produits, actions d’informations, de conseils, discussions, etc… destinés à favoriser la conclusion des ventes entre son mandant et les clients :

  • Cass. Com. 7 septembre 2022 (n° 18-15964) :

« …il n’est pas requis de l’agent commercial qu’il exerça une activité globale le conduisant à formuler des offres commerciales, proposer des catalogues, des délais de livraison, des volumes, ni des prix dès lors qu’il démontre que son activité effective exercée pour le compte de son mandant correspond à un pouvoir de négociation qui lui a été confié.

L’arrêt retient que la société E et R a visité la clientèle et les prospects de la mandante, mais aussi exerçait son pouvoir de négociation par les entretiens, les échanges et les démarches menées par elle pour parvenir à un accord… ».

  • Cass. Com. 23 juin 2021 (n° 18-24039) :

« En statuant ainsi, alors que les tâches principales d’un agent commercial consistent à importer de nouveaux clients aux commettants et à développer les opérations avec les clients existants, que l’accomplissement de ces tâches peut être assuré par l’agent commercial au moyen d’actions d’informations et de conseils ainsi que de discussions qui sont de nature à favoriser la conclusion de l’opération commerciale pour le compte du commettant, même si l’agent commercial ne dispose pas de la faculté de modifier les prix des marchandises vendues ou des services rendus, ce dont il résulte qu’il n’est pas nécessaire de disposer de la faculté de modifier les contrats conclus par le commettant pour être agent commercial, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».

  • Cass. Com. 16 juin 2021 (n° 19-21585) :

« Pour dire que M. [U] n’avait pas le statut d’agent commercial et rejetait ses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat conclu avec M. [Z], l’arrêt retient qu’après avoir été démarché ou avoir été contacté par un client, M. [U] transmettait à M. [Z] des éléments essentiellement techniques, aux vues desquels il établissait le projet technique et son devis, lesquels étaient ensuite soumises aux clients par M. [U] qui avait la faculté de suggérer à M. [Z] des remises sur les prix, soumise à sa seule décision. Après avoir énoncé que la faculté de négocier implique celle de disposer d’une indépendance suffisante à

cette fin pour pouvoir agir sur les termes du contrat et modifier les clauses contractuelles initialement envisagées par le mandant, l’arrêt relève qu’à supposer que ce pouvoir de négociation ressorte de la faculté de suggérer des remises de prix à M. [Z], M. [U] n’en disposait pas de manière permanente, puisque s’exprimant à chaque fois au cas par cas, sur la base des devis établis par M. [Z] pour chaque chantier.

En statuant ainsi, en se fondant sur l’impossibilité pour M. [U] de négocier les prix et les termes des contrats, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».

  • Cass. Com. 12 mai 2021 (n° 19-17042) :

« Pour rejeter les demandes de la société [P], après avoir rappelé que c’est au regard des missions effectivement exécutées par cette dernière que devait être vérifié si elle était chargée de manière permanente de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats au nom et pour le compte de la société [M], l’arrêt constate qu’il résulte des  pièces examinées que la société [M] n’avait pas confié à la société [P] la négociation des contrats avec la société Luding, gardant la maîtrise et le contrôle de la détermination des conditions des contrats et, en particulier, des prix. L’arrêt retient que le fait que la société [M] ait pu demander à la société [P] de se faire remettre les contrats ou de les faire signer et les rapporter s’inscrit dans la mission de présentation des produits et de soutien des relations commerciales de la société [M] qui ne se confond pas avec une mission d’agent commercial telle que définie par la loi. L’arrêt ajoute que le fait que la société [P] ait assuré le suivi des livraisons et des paiements ne permet pas d’établir l’existence d’un contrat d’agence commerciale, pas plus le fait qu’elle ait amené les relations commerciales de la société [M] à se développer.

En statuant ainsi, en se fondant sur l’impossibilité de la société [P] de modifier les conditions des contrats, et en particulier les prix, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».

  • Cass. Com. 2 décembre 2020 (18-20231) :

« Pour dire que M. O… n’avait pas le statut d’agent commercial et rejetait ses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat conclu avec la société Editions Atlas, l’arrêt relève qu’il ressort des catalogues des produits et prix de ventes de juin à décembre 2011 que M. O… n’était en mesure de modifier aucun des éléments de l’offre contractuelle des Editions Atlas, s’agissant des quantités, des prix et des modalités de paiement. Il retient que M O… ne justifiait pas, dans ces conditions, avoir disposé effectivement d’une quelconque marge de manœuvre sur une partie au moins de l’opération économique, les prix de cession, les barèmes de remise du mandant et les conditions générales de distribution et de vente étant définies par le mandant. Il ne démontre pas qu’il avait le pouvoir de négocier les contrats au nom et pour le compte de son mandant, ce qui exclut toute application du statut d’agent commercial.

En statuant ainsi, en se fondant sur l’impossibilité par M. O…de négocier les prix, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».

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