LA MODIFICATION UNILATERALE DU SECTEUR GEOGRAPHIQUE DE L’AGENT COMMERCIAL

L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de Cassation du 2 mars 2022 (n° 20-16215) est un bon exemple de l’interdiction faite au mandant de modifier unilatéralement le secteur géographique de son agent commercial.

Dans cette affaire, au mépris du principe de l’intangibilité et de la force obligatoire du contrat signé entre les parties, le mandant avait retiré unilatéralement à l’agent commercial une partie de son secteur pour l’attribuer à un autre mandataire. L’agent commercial avait alors considéré que son mandant s’était rendu coupable de la rupture des relations contractuelles et lui avait demandé le règlement des indemnités prévues par les articles L134-11 et L134-12 du Code de Commerce.

Mais relevant que le contrat contenait une clause prévoyant pour l’agent le règlement d’une indemnité au titre de la perte de clientèle en cas de non-respect du secteur par le mandant, la Cour d’appel de Dijon l’avait débouté de ses demandes par un arrêt du 9 janvier 2020 au motif qu’il n’établissait « …cette perte ni dans son principe ni dans son montant ». Mais ce faisant, les juges d’appel se sont mépris à la fois sur la nature juridique du préjudice de l’agent commercial et sur le mécanisme d’indemnisation découlant du mandat d’intérêt commun. Cette clause ne pouvait constituer la seule sanction au comportement fautif du mandant car elle n’indemnisait pas l’agent du préjudice subi du fait de la cessation des relations contractuelles.

Le mandant ne pouvait contractuellement s’exonérer de sa responsabilité ni de son obligation d’indemniser complètement l’agent du préjudice subi en compensant la seule perte de clientèle découlant du retrait du secteur car elle a toujours appartenu au mandant. Il est en effet de principe que l’agent commercial ne peut être propriétaire d’une clientèle, ce critère servant d’ailleurs, en cas de litige, à distinguer l’agent commercial d’autres professions proches (Cass. Com. 12 février 2012, n° 11-14974 ; 26 février 2008, n° 06-20772).

De plus, l’indemnisation de l’agent commercial n’est pas conditionnée par la justification d’un apport de clientèle par l’agent (Cass. Com. 14 octobre 1997, n° 95-16973) et que « …l’indemnité répare la perte d’une part de marché et non la clientèle créée ou préexistante (Cass. Com. 9 janvier 2001, n° 98-11313 ; 29 février 2000, n° 97-13220). La clause du contrat renvoyant à la notion de perte de clientèle ne pouvait donc être appliquée par les juges pour lui octroyer une indemnisation.

Par ailleurs, en présence d’une relation d’agence commerciale et donc d’un mandat d’intérêt commun, les juges n’étaient pas tenus d’appliquer les clauses contractuelles définissant par avance le préjudice mais se devaient de faire usage des principes gouvernant l’indemnisation des mandataires d’intérêt commun que sont les agents commerciaux.

L’arrêt de la Cour d’appel de Dijon est donc inévitablement cassé au motif qu’ « en statuant ainsi, alors d’une part qu’elle constatait que la société Perrin avait consenti un mandat de vente des produits de sa marque « Berthe aux Grands Pieds » à la société Collonil France moyennant commission et ainsi caractérisé l’existence d’un mandat d’intérêt commun entre les parties, et d’autre part, que la rupture, intervenue sans motif  légitime, était imputable à la société Perrin, la Cour d’appel a violé les textes susvisés… ».

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