LA RUPTURE DU CONTRAT D’AGENT COMMERCIAL (3/3) : Les modalités de l’indemnisation

A/ Le délai pour agir :

 

Le délai pour réclamer le paiement de l’indemnité est précisé par l’alinéa 2 de l’article L134-12 du Code de Commerce qui dispose que « L’agent commercial perd le droit à réparation s’il n’a pas notifié au mandant, dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat, qu’il entend faire valoir ses droits ».

Il ne s’agit pas d’une prescription extinctive de l’action, mais d’une déchéance du droit à réparation (Cass. Com. 18 mai 2005, n° 03-20820). Le point de départ de la computation du délai d’un an n’est pas la notification de la rupture du contrat par le mandant à l’agent, mais la date à laquelle l’agent commercial a cessé ses fonctions.

En effet, le point de départ du délai est la cessation du mandat. La jurisprudence considère que le délai ne court pas à compter de la notification de la résiliation du contrat ou de la fin du préavis mais à partir de la date à laquelle l’agent a effectivement cessé d’exécuter ses fonctions de mandataire (Cass. Com. 11 juin 2002, n° 99-20360 ; 18 mai 2005, n° 03-20820 ; 18 janvier 2011, n° 09-72510).

La forme de cette notification n’est pas précisée par l’article L134-12 du Code de Commerce et elle n’est donc assortie d’aucun formalisme particulier. Elle peut donc résulter de l’appel en garantie dirigé contre la société mandante (Cass. Com. 19 décembre 2006, n° 05-15541), d’une lettre recommandée avec avis de réception (Cass. Com. 11 mars 2008, n° 07-10590 ; 18 mai 2005, n° 03-20820), ou d’un acte d’huissier.

 

B/ La nature du préjudice indemnisé :

 

Contrairement à une croyance largement répandue, et à la différence des VRP, l’indemnité de rupture n’indemnise pas la perte d’une clientèle, car elle appartient au mandant.

C’est pourquoi la jurisprudence, de longue date, justifie le préjudice de l’agent dans la perte de la part de marché provoquée par la cessation du mandat, qui reste entièrement en la possession de ce dernier. Même si l’agent peut visiter la clientèle pour des produits différents, il perd le chiffre d’affaires attaché spécialement aux produits du mandant. Selon la Cour de Cassation, « …l’indemnité répare la perte d’une part de marché et non la clientèle créée ou préexistante » (Cass. Com. 29 février 2000, pourvoi n° 97-13220 ; 9 janvier 2001, pourvoi n° 98-11313). Elle répare « …la perte de commissions auxquelles l’agent pouvait raisonnablement prétendre dans la poursuite du contrat » (Cass. Com. 16 octobre 2001, n° 99-10271).

En outre, les juges relèvent également que le préjudice de l’agent commercial réside dans la perte de la valeur de son mandat qui était transmissible à un successeur, comme le prévoit l’article L134-13-3 du Code de Commerce. Du fait de la rupture de son contrat, l’agent ne peut plus le céder à un successeur, les usages professionnels fixant généralement le prix du mandat à l’équivalent de deux ans de commissions. L’indemnité de cessation de mandat indemnise donc la perte de cette valeur patrimoniale (Cour d’appel NÎMES 12 avril 2012, ROCHON/TECHNISOL, arrêt n° 97 ; Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE 8 mars 2007, SARL BIESSE/ SARL REPPCO, arrêt n° 2007/131 ; 1er juillet 2005, UNE FLEUR EN PLUS/SARL /REPPCO, n° 2005/392).

La cessation du contrat est en soi constitutive du préjudice de l’agent : elle entraîne « ipso facto » la perte de sa valeur patrimoniale.

Puisque l’indemnité compense la perte d’une part de marché ou la valeur perdue du contrat, la durée des relations contractuelles n’a que peu d’influence sur son montant. La cessation d’un contrat dont l’exécution a duré 10 mois voire 20 mois ouvre droit à l’agent commercial à une indemnité équivalente à celle qu’il aurait perçue si sa durée avait été supérieure à deux ans (Cour d’appel POITIERS 17 février 2004, Les Annonces de la Seine du 1er août 2005, Cour d’appel PAU 31 janvier 2011 DISTRIB/TSO, arrêt n° 536/11).

 

C/ Le montant de l’indemnisation :

 

– Il est de principe que l’indemnité de rupture allouée à l’agent commercial s’analyse en une compensation du préjudice subi du fait de la rupture de son mandat, qui est souverainement appréciée par les juges du fond (Cass. Com. 29 mai 1969, pourvoi n° 67-12483 ; 20 mars 1972, pourvoi n° 70-14217 ; 10 mai 1977, pourvoi n° 76-10551).

Généralement, son montant est fixé par les usages professionnels et la jurisprudence à l’équivalent de deux ans de commissions brutes, calculée sur la base des commissions perçues soit au cours des deux dernières années d’exécution du contrat, soit sur la moyenne des commissions des trois dernières années (Cour d’appel TOULOUSE 20 janvier 2016 KRANZLE GMBH/COREPSO, arrêt n° 50 ; Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE 9 avril 2015, CRE/DEMONT, arrêt n° 2015/148 ; Cour d’appel NÎMES 23 janvier 2014 SARL CAVAS/FOULQUIER, arrêt n° 41 ; 10 janvier 2013 SARL BENITO FRANCE/DAUVERGNE, arrêt n° 9 ; Cour d’appel LYON, 18 mars 2011, SARL EUTOTECH/GROS, arrêt n° 10/00781 ; etc.).

Si des commissions restent dues à l’agent commercial, elles doivent être réintégrées dans l’assiette de calcul de l’indemnité (Cass. Com. 12 juin 2007, pourvoi n° 05-22025 ; 8 février 2011, pourvoi n° 09-15647).

De plus, la Cour de Cassation a adopté depuis plusieurs années une conception extensive de l’assiette de calcul de l’indemnité qui, selon elle, comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l’activité développée dans l’intérêt commun des parties. Il n’y a donc pas lieu d’effectuer de distinction selon la nature de la rémunération perçue par l’agent commercial (Cass. Com. 7 juin 2006, pourvoi n° 04-15534 ; 21 octobre 2008, pourvoi n° 08-10578 ; 8 octobre 2013, pourvoi n° 12-26544). Toute rémunération perçue par l’agent commercial à l’occasion de sa prospection ou qui rémunérerait une obligation accessoire mais indispensable à l’exécution du contrat doit être intégrée dans l’assiette de calcul de l’indemnité. C’est le cas de la rémunération couvrant une activité logistique, le stockage, le transport, la livraison, les tâches administratives correspondantes, le suivi commercial (Cass. Com. 5 avril 2005, pourvoi n° 03-15230 ; 31 janvier 2006, pourvoi n°04-20683).

– Enfin, il doit être rappelé que l’article L134-12 du Code de Commerce qui prévoit l’indemnité de cessation de mandat est d’ordre public, de sorte qu’en application de l’article L134-16 du même Code, est réputée non-écrite toute clause y dérogeant au détriment de l’agent commercial. Il n’est donc pas possible dans le texte du contrat de priver l’agent commercial de l’indemnité ou d’en limiter par avance le montant car il appartient aux juges et non aux parties d’évaluer le préjudice et fixer le montant de l’indemnité.

La jurisprudence n’admet la validité de la clause contractuelle fixant par avance le montant de l’indemnité que si elle aboutit à un résultat équivalent à celui qui aurait été obtenu par application des critères jurisprudentiels de fixation de l’indemnité (Cour d’appel PARIS 25 février 2004, BRDA 2004 n° 12 page 7). Mais la validité de la clause est reconnue si elle permet une indemnisation complète du préjudice subi par l’agent commercial ou si elle prévoit une indemnisation supérieure (Cass. Com. 20 mars 2007 n° 06-11987 ; Cour d’appel VERSAILLES 9 juin 2005, Légifrance).

En revanche, la jurisprudence répute non-écrite toute clause qui prévoit une indemnisation moindre (par exemple un an de commissions) (Cass. Com. 18 mai 2010, pourvoi n° 09-15023).

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