Il est d’usage de considérer qu’il faut au moins deux ans à l’agent commercial pour développer un flux d’affaires suffisant pour amortir ses investissements et commencer à percevoir une rémunération continue. Si les efforts de l’agent sont ainsi couronnés de succès, son mandat revêt alors pour lui une véritable valeur patrimoniale puisqu’il lui procure une rémunération récurrente et qu’il est cessible à un successeur à un prix que les usages fixent généralement à deux ans de commissions.
La rupture de son contrat lui cause donc un préjudice d’une particulière gravité puisqu’il perd, du jour au lendemain, le droit de vendre les produits et services du mandant à la clientèle qu’il avait constituée ou entretenue. Il perd également la rémunération potentielle que cette clientèle aurait encore pu lui procurer et la possibilité de vendre son mandat à un successeur. C’est pourquoi, en considération de la gravité de ce préjudice, les usages professionnels et la jurisprudence évaluent généralement l’indemnité de cessation de mandat à deux ans de commissions brutes.
SECTION 1 : Généralités
L’indemnité de cessation de mandat prévue par l’article L134-12 du Code de Commerce obéit à des règles spécifiques tenant à son délai de réclamation, à sa transmission aux ayants droit en cas de décès de l’agent et à la nature du préjudice indemnisé.
§1 Le délai pour agir :
Le délai pour réclamer le paiement de l’indemnité est précisé par l’alinéa 2 de l’article L134-12 du Code de Commerce qui dispose que « L’agent commercial perd le droit à réparation s’il n’a pas notifié au mandant, dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat, qu’il entend faire valoir ses droits ».
Il ne s’agit pas d’une prescription extinctive de l’action, mais d’une déchéance du droit à réparation (Cass. Com. 18 mai 2005, n° 03-20820). Le point de départ de la computation du délai d’un an n’est pas la notification de la rupture du contrat par le mandant à l’agent, mais la date à laquelle l’agent commercial a cessé ses fonctions. En effet, le point de départ du délai est la cessation du mandat. La jurisprudence considère que le délai ne court pas à compter de la notification de la résiliation du contrat
ou de la fin du préavis mais à partir de la date à laquelle l’agent a effectivement cessé d’exécuter ses fonctions de mandataire (Cass. Com. 18 janvier 2011, n° 09-72510 ; 18 mai 2005, n° 03-20820 ; 11 juin 2002, n° 99-20360).
La forme de cette notification n’est pas précisée par l’article L134-12 du Code de Commerce et elle n’est donc assortie d’aucun formalisme particulier. Elle peut donc résulter de l’appel en garantie dirigé contre la société mandante (Cass. Com. 19 décembre 2006, n° 05-15541), d’une lettre recommandée avec avis de réception (Cass. Com. 11 mars 2008, n° 07-10590 ; 18 mai 2005, n° 03-20820), ou d’un acte d’huissier.
§2 Le décès de l’agent :
– En application de l’article L134-12 3ème alinéa du Code de Commerce, le décès de l’agent commercial a pour effet de transmettre le droit à indemnité de cessation de mandat à ses ayants droit. Autrement dit, lorsque l’agent commercial décède, sa disparition transmet à ses héritiers le bénéfice de l’indemnité de cessation de mandat et cette transmission s’opère, quelles que soient les causes du décès et notamment en cas de suicide (Cass. Com. 23 novembre 2010, n° 09-17167). Naturellement, ce transfert d’indemnité aux héritiers n’a lieu que pour les agents commerciaux exerçant en nom propre et non en société. En effet, le décès du dirigeant ou des associés d’une personne morale est sans influence sur son existence juridique. §3 La nature du préjudice indemn A/ Perte d’une part de marché et de la valeur du mandat :
– Contrairement à une croyance largement répandue, et à la différence des VRP, l’indemnité de rupture n’indemnise pas la perte d’une clientèle, car elle appartient au mandant. En fait, la jurisprudence, de longue date, justifie le préjudice de l’agent dans la perte de la part de marché provoquée par la cessation du mandat, qui reste entièrement en la possession de ce dernier et par l’impossibilité de céder la carte à un successeur.
– De nombreuses décisions justifient la gravité du préjudice dans la disparité de la situation des parties après la résiliation du mandat.
Les juges relèvent souvent que l’agent commercial se trouve privé du jour au lendemain de son mandat (CA Nîmes 12 avril 2012 Rochon/Technisol, n° 197) ce qui se matérialise presque toujours par une baisse brutale de ses revenus (Aix-en-Provence 5 février 2004 Truc/Camille Jourdan, n° 2004/94).
D’autres décisions s’appuient sur le temps nécessaire à la reconstitution d’une carte équivalente estimée à deux ans (Aix-en-Provence 27 novembre 2008 Thorel/Papeterie du Rhin, n° 2008/423).
– Mais c’est surtout par la notion de patrimonialité du mandat que la jurisprudence analyse le préjudice (Aix-en-Provence 25 janvier 2012 Melane/Guarisco Fashion, n° 2012/26 ; Grenoble 10 septembre 1998 Azurel Equipement /Magne SA, n° 594). Même si l’agent peut visiter la clientèle pour des produits différents, il perd le chiffre d’affaires attaché spécialement aux produits du mandant. Selon la Cour de Cassation, « …l’indemnité répare la perte d’une part de marché et non la clientèle créée ou préexistante » (Cass. Com. 9 janvier 2001, pourvoi n° 98-11313 ; 29 février 2000, pourvoi n° 97-13220). Elle indemnise « …la perte de commissions auxquelles l’agent pouvait raisonnablement prétendre dans la poursuite du contrat » (Cass. Com. 16 octobre 2001, n° 99-10271). Avec une remarquable constance, les Cours d’appel font donc état de la perte d’un potentiel de commissions (Aix-en-Provence 13 février 2002 Angles/Quo Vadis, n° 88 : 30 juin 2010 Dulout/Satplan, n° 2010/301), de la privation de la rémunération à laquelle l’agent pouvait raisonnablement prétendre (Aix-en-Provence 7 mars 2009 Casares /Vacation Rental, n° 2009/211 ; Nîmes 7 septembre 2006 Canler/Alternative, n° 384) ou encore de la perte pour l’avenir des revenus produits par l’exécution du mandat (Aix-en-Provence 14 septembre 2006 Jaunay/ Charcurhin, n° 2006/429).
– La patrimonialité du mandat réside également dans le droit de l’agent de présenter un successeur au mandant, c’est pourquoi les juges relèvent souvent que le préjudice de l’agent commercial réside dans la perte de la valeur de son mandat qui était transmissible à un successeur, comme le prévoit l’article L134-13-3 du Code de Commerce. Du fait de la rupture de son contrat, l’agent ne peut plus le céder à un successeur, les usages professionnels fixant généralement le prix du mandat à l’équivalent de deux ans de commissions. L’indemnité de cessation de mandat indemnise donc la perte de cette valeur patrimoniale (CA Nîmes 12 avril 2012, Rochon/Technisol, arrêt n° 97 ; Aix-en-Provence 8 mars 2007, SARL Biesse/ SARL Reppco, arrêt n° 2007/131 ; 1er juillet 2005, Une fleur en plus/SARL Reppco, n° 2005/392).
Dans ces conditions, la cessation du contrat est en soi constitutive du préjudice de l’agent : elle entraîne « ipso facto » la perte de sa valeur patrimoniale.
Puisque l’indemnité compense la perte d’une part de marché ou la valeur perdue du contrat, la durée des relations contractuelles n’a que peu d’influence sur son montant. La cessation d’un contrat dont l’exécution a duré 10 mois voire 20 mois ouvre droit à l’agent commercial à une indemnité équivalente à celle qu’il
aurait perçue si sa durée avait été supérieure à deux ans (CA Poitiers 17 février 2004, Les Annonces de la Seine du 1er août 2005, Pau 31 janvier 2011 Distrib/TSO, arrêt n° 536/11). B/ Conséquences :
– La définition jurisprudentielle du préjudice de l’agent commercial par la notion de perte de part de marché implique deux importantes conséquences qui participent de la spécificité de l’indemnité de cessation de mandat et qui distinguent très nettement la situation de l’agent commercial de celle du VRP.
– Tout d’abord, et à l’inverse de l’indemnité de clientèle des VRP, l’indemnisation de l’agent commercial n’est pas conditionnée par la justification d’un apport de clientèle par l’agent (Cass. Com. 14 octobre 1997, n° 95-16973). La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation considère que « …L’indemnité répare la perte d’une part de marché et non la clientèle créée ou préexistante » (Cass. Com. 9 janvier 2001, n° 98-11313 ; 29 février 2000, n° 97-132220). Il s’agit là d’un avantage considérable que procure le statut d’agent commercial puisque le VRP, pour pouvoir prétendre à l’indemnité de clientèle, doit prouver avoir développé la clientèle de son employeur en nombre et en valeur (Cass. Soc. 6 juin 2001, n° 99-43334 ; 10 novembre 1992, n° 89-43448).
– Ensuite, la valeur de la part de marché s’évalue au jour de sa perte, et il n’y a pas lieu de tenir compte de son évolution antérieurement ou postérieurement à cette date. A ce titre, on ne peut établir de distinction entre la clientèle nouvelle et préexistante (Cf. : les arrêts précités) alors que pour les VRP on doit au contraire exclure de l’indemnisation la clientèle qui existait déjà lors de sa prise de fonction (Cass. Soc. 15 février 2006, n° 04-978). De même, contrairement aux VRP, la perte de clients après la rupture n’a pas d’influence sur l’indemnisation (Cass. Com. 28 février 2005, n° 063-17062) les juges n’étant pas tenus d’examiner des éléments postérieurs à la cessation du contrat. La pérennité de la part de marché est donc indifférente à l’indemnisation de l’agent commercial ce qui est bien normal puisqu’il n’a plus de contrôle sur cette dernière.
– Enfin, si le VRP est privé d’indemnisation s’il continue à visiter la même clientèle pour des produits similaires (Cass. Soc. 23 novembre 1999, n° 97-42979), cette circonstance est indifférente à l’évaluation du préjudice de l’agent commercial. En effet, l’agent commercial est par essence multicartes en application de l’article L134-3 du Code de Commerce et les dispositions de l’article L134-12 du même code relatives à l’indemnité de cessation de mandat n’en conditionnent pas l’octroi à la perte par l’agent de la totalité de ses cartes. De surcroît, et même si l’agent commercial a immédiatement remplacé le mandant pour des produits similaires, son préjudice reste patent puisqu’il lui faudra
nécessairement du temps pour convaincre les acheteurs de changer de fournisseur, sans compter les délais liés par exemple à la saisonnalité de certains produits ou aux conditions administratives et commerciales de process de référencement.
SECTION 2 : Le montant et les modalités de calcul
de l’indemnité
Avec une constance qui mérite d’être soulignée, les usages professionnels et la jurisprudence évaluent depuis de longues années l’indemnité de cessation de mandat à deux ans de commissions. §1 Le montant de l’indemnisation :
§1 Le montant de l’indemnisation :
– Il est de principe que l’indemnité de rupture allouée à l’agent commercial s’analyse en une compensation du préjudice subi du fait de la rupture de son mandat, qui est souverainement appréciée par les juges du fond (Cass. Com. 10 mai 1977, pourvoi n° 76-10551 ; 20 mars 1972, pourvoi n° 70-14217 ; 29 mai 1969, pourvoi n° 67-12483).
Généralement, son montant est fixé par les usages professionnels et la jurisprudence à l’équivalent de deux ans de commissions brutes, calculée sur la base des commissions perçues soit au cours des deux dernières années d’exécution du contrat, soit sur la moyenne des commissions des trois dernières années (CA Toulouse 20 janvier 2016 Kranzle Gmbh/Corepso, arrêt n° 50 ; Aix-en-Provence 9 avril 2015, CRE/Demont, arrêt n° 2015/148 ; Nîmes 23 janvier 2014 Cavas/Foulquier, arrêt n° 41 ; 10 janvier 2013 Benito France/Dauvergne, arrêt n° 9 ; Lyon, 18 mars 2011, Eurotech/Gros, arrêt n° 10/00781 ; etc.).
Lorsque la durée de la relation contractuelle a été inférieure à deux ans, il arrive que les juges fixent l’indemnité à un nombre de mois de commissions équivalent à la durée de la collaboration entre les parties. C’est ainsi par exemple que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence par un arrêt du 7 mai 2009 a fixé l’indemnité à six mois de commissions pour une ancienneté de 19 mois (Casarès/Vacation Rental, n° 2009/211) ou, que dans une décision du 28 octobre 2010 elle a alloué une indemnité équivalente à un an de commissions pour 16 mois d’ancienneté (Damars/Esat les Cigales-Jean Paour, n° 6422).
Mais cette dérogation n’a rien de systématique puisqu’il existe autant de décisions traduisant une appréciation contraire des juges du fond. C’est ainsi que la cessation d’un contrat dont l’exécution a duré 10 mois voir 20 mois, ouvre droit à l’agent commercial à une indemnité équivalente à celle qu’il aurait perçue si sa durée avait été supérieure à deux ans (CA Pau 31 janvier 2011 Distrib/TSO, arrêt n° 536/11 ; Poitiers 17 février 2004, Les annonces de la Seine du 1er août 2005).
– Les contrats d’agence commerciale contiennent parfois des clauses prévoyant par avance soit le montant de l’indemnité de fin de contrat, soit ses modalités de calcul. Or, les dispositions de l’article L134-12 du Code de Commerce prévoyant le droit à indemnité sont d’ordre public en application de l’article L134-16 du même Code, et elles sont donc le plus souvent réputées non-écrites.
C’est ainsi qu’est nulle la clause par laquelle le mandant s’exonère de toute indemnité (Cass. Com. 6 février 1990, n° 88-12903) ou qui définit par avance un évènement privant l’agent d’indemnisation. C’est le cas de la non-réalisation d’une clause d’objectif car la Cour de Cassation rappelle « …qu’en l’absence de définition légale, il appartient au seul juge de qualifier de faute grave les faits qui lui sont soumis et que la clause contractuelle, qui définit la non-atteinte du chiffre d’affaires minimum à réaliser comme une faute grave justifiant le non-renouvellement du contrat sans indemnité doit être réputée non-écrite… » (Cass. Com. 28 mai 2002, n° 00-16857). Le raisonnement est identique pour des clauses prévoyant un mode de calcul particulier de l’indemnité. La clause fixant l’indemnité aux seules commissions perçues sur les clients nouveaux apportés par l’agent commercial est également nulle (Cass. Com. 14 octobre 1974, n° 73-12189) car l’octroi de l’indemnité n’est pas lié à un apport de clientèle par l’agent commercial (Cass. Com. 14 octobre 1997, n° 95-16937). La Cour de Cassation considère en effet qu’il n’y a pas lieu d’effectuer de distinction selon la provenance et la nature de la rémunération perçue par l’agent commercial (Cass. Com. 8 octobre 2013, n° 12-26544 ; 21 octobre 2008, n° 08-10578 ; 7 juin 2006, n° 04-15345).
Enfin, s’agissant des clauses fixant par avance le montant de l’indemnité, la Cour de Cassation n’admet leur validité que si elles prévoient une indemnisation supérieure ou égale au préjudice subi (Cass. Com. 26 septembre 2018, n° 16-25350 ; 20 mars 2007, n° 06-11987) ou une indemnisation supplémentaire se cumulant avec l’indemnité de cessation de mandat, « …toute clause prévoyant une indemnisation différente étant non-avenue » (Cass. Com. 17 juin 2003, n° 01-11300 ; CA Caen 9 mai 2019, Glineur/Rey Surgelés, RG n° 17/02305)).
§1 L’assiette de calcul de l’indemnité de cessation de
mandat : §2 L’assiette de calcul de l’indemnité de cessation de mandat :
– On l’a vu, l’indemnité est généralement fixée par les usages professionnels et la jurisprudence à l’équivalent de deux ans de commissions brutes sur la base des rémunérations perçues par l’agent commercial.
La période de référence à prendre en compte pour ce calcul est soit les deux dernières années civiles d’exécution du mandat, soit la moyenne annuelle des trois dernières années. La jurisprudence considère qu’il faut intégrer dans cette assiette de calcul la totalité des rémunérations perçues par l’agent commercial à l’occasion de l’exécution de son mandat.
En effet, afin d’estimer la valeur de l’activité développée en commun par les parties et d’indemniser complètement l’agent commercial du préjudice subi, elle considère qu’il n’y a pas lieu d’effectuer de distinction selon la nature de la rémunération de l’agent commercial (Cass. Com. 8 octobre 2013, n° 12-26544 ; 21 octobre 2008, n° 08-10578 ; 7 juin 2006, n° 04-155345).
Toutes les rémunérations perçues par l’agent commercial pour des activités annexes ou complémentaires à l’activité principale développée pour le compte du mandant, rentrent dans le calcul de l’indemnité de cessation de mandat. C’est le cas notamment de la rémunération couvrant l’activité logistique, le stockage, le transport, la livraison, les tâches administratives correspondantes, le suivi commercial (Cass. Com. 31 janvier 2006, n° 04-20683 ; 5 avril 2005, n° 03-15230).
– Lorsque des commissions demeurent impayées, leur montant doit être réintégré dans l’assiette de calcul de l’indemnité, car elles participent à l’évaluation de la valeur perdue du mandat. Cette réintégration concerne aussi bien le calcul de l’indemnité légale de cessation de mandat que celui de l’indemnité compensatrice de préavis inexécuté (Cass. Com. 8 février 2011, n° 09-15647 ; 12 juin 2007, n° 05-22025). Conformément à la jurisprudence de la Cour de Cassation, les juridictions de fond ajoutent les commissions impayées aux rémunérations effectivement perçues pour calculer le montant des indemnités précitées (CA Toulouse 20 janvier 2016 Kranzle gmbh/Corepso, arrêt n° 50 ; Nîmes 23 janvier 2014 SARL Cavas/Foulquier, arrêt n° 41 ; Montpellier 24 janvier 2012 SA Bourtoire/Pastor, arrêt n° 309 ; Lyon 18 mars 2011 Eurotech/Gros, arrêt n°10/00781).