LA FAUTE GRAVE DE L’AGENT COMMERCIAL

Baisse du chiffre d’affaires, concurrence, dénigrement, absence de prospection, concurrence… : les circonstances invoquées par les mandants à l’appui de la rupture sont nombreuses et variées. Mais elles doivent revêtir un caractère de gravité suffisant pour rendre la rupture imputable à l’agent commercial.

A/ La définition de la faute grave privative d’indemnité :

En application des dispositions combinées des articles L134-11, L134-12 et L134-13-1 du Code de Commerce, la commission d’une faute grave par l’agent commercial dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de le priver de l’indemnité de cessation de mandat et de l’indemnité compensatrice de préavis inexécuté.

Puisque les obligations de l’agent sont de moyen et non de résultat, il appartient au mandant qui invoque la faute commise par son agent commercial pour être déchargé de l’indemnité légale de cessation de mandat d’en rapporter la preuve, (Cass. Com. 15 octobre 2009, n° 03-11530 ; 22 février 2005, n° 03-12045 ; 14 novembre 1999, n° 88-12453 ; 16 mars 1993, n° 91-11094)

Selon la jurisprudence constante de la Cour de Cassation, la faute grave se définit comme celle « qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d’intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel » (Cass. Com. 15 septembre 2009, n° 08-15613 ; Cass. Com. 15 octobre 2002, JCP Ed. E 2003). En d’autres termes, tous les manquements d’un agent commercial ne constituent pas nécessairement une faute grave : il existe en effet une différence de degré entre de simples manquements et la faute grave.

Par exemple, une Cour d’appel peut retenir dans l’exercice de son pouvoir souverain que le refus de l’agent commercial de prendre l’avion pour prospecter la clientèle « …n’est pas suffisamment grave pour priver l’agent commercial des indemnités auxquelles il a droit » (Cass. Com. 27 septembre 2005, n° 03-20128). De même, la diminution du volume des ventes ne saurait être constitutive en soi d’une faute grave, le mandant devant démontrer que cette baisse est due à une activité insuffisante de l’agent commercial (Cass. Com. 15 septembre 2009, n° 09-16696 ; 9 octobre 2007, n° 06-10929 ; 15 octobre 2002, n° 00-18122 ; 11 juillet 1996, n° 94-18392 ; 22 juillet 1986, n° 85-11979 ; etc…) ou de fautes ponctuelles concernant le cas particulier de quelques clients (Cass. Com. 20 octobre 2002, n° 99-12766).

La Cour de Cassation exige donc que le mandant ainsi que les juges du fond expliquent en quoi les manquements qu’ils imputent à un agent commercial présentent un caractère de gravité suffisant pour le priver de ses indemnités. Il ne suffit donc pas au mandant ou au juge de constater des manquements pour en déduire l’existence d’une faute grave, il faut encore qu’ils expliquent pourquoi ces manquements sont graves et rendent impossible la poursuite du contrat (Cass. Com. 21 juin 2011, n° 10-19902).

B/ Les effets de la tolérance du mandant sur la faute grave :

La jurisprudence définit cette faute grave comme celle « qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d’intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel ». Pour pouvoir priver l’agent commercial des indemnités découlant de la rupture des relations contractuelles, cette faute grave doit donc immédiatement rendre impossible la poursuite du contrat.

En d’autres termes, le mandant qui veut imputer à son agent commercial une faute grave doit la lui reprocher rapidement à compter du moment où il en a eu connaissance sans quoi les juges considèreront qu’il a accepté la situation.

La jurisprudence considère en effet que le mandant ne peut faire grief à l’agent d’une situation qu’il a connue sans mettre l’agent en demeure d’y mettre fin (CA Bordeaux, 4 décembre 1969, Gaz. Pal. 1970 I 27).

C’est pourquoi des comportements connus de longue date par le mandant et tolérés par lui ne peuvent être légitimement allégués ensuite par ce dernier à l’appui d’une prétendue faute grave (Cass. Com. 12 février 2013, pourvoi n° 12-12371 ; 8 décembre 2009, pourvoi n° 08-17749 ; 7 avril 2009, pourvoi n° 08-12832 ; 22 février 2005, pourvoi n° 03-12753 ; 11 juin 2002, pourvoi n° 98-21916).

C/ La faute révélée après la rupture :

En revanche, lorsque les faits fautifs ne sont connus du mandant qu’après la rupture des relations contractuelles, ils peuvent être pris en compte par les juges pour apprécier l’éventuel faute grave commise par l’agent commercial. C’est le cas de la diffusion de tracts publicitaires non-autorisés par le mandant (Cass. Com. 1er  juin 2010, n° 09-14115) de la diffusion de produits concurrents (Cass. Com. 15 mai 2007, n° 06-12282) ou bien même de la dissimulation de sa santé financière au mandant malgré les stipulations du contrat (Cass. Com. 24 novembre 2015, n° 14-17747). Ce principe vient d’être réaffirmé par la Cour de Cassation dans un arrêt du 14 février 2018 (n° 16-26037) en matière de diffusion de produits concurrents. La Cour casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui n’avait pas reconnu l’existence de la faute grave au motif qu’elle n’avait été découverte qu’après l’envoi de la lettre de rupture en considérant « …qu’il n’est pas contesté que le manquement à l’obligation de loyauté ainsi reproché à la société Robert, qui était susceptible de constituer une faute grave privative d’indemnité, avait été commis antérieurement à la rupture du contrat, peu important que, découverte ultérieurement par les mandantes, il n’ait pas été mentionné dans la lettre de résiliation, la Cour d’appel a violé les textes susvisé ».

D/ La faute de l’agent commercial provoquée par la faute du mandant :

La faute grave commise par l’agent commercial lorsqu’elle est provoquée par la faute du mandant n’est pas privative d’indemnité au sens de l’article L134-13-1 du Code de Commerce.

Le contrat d’agence commerciale est un mandat d’intérêt commun dont le but est l’exploitation en commun d’une part de marché. Le mandant et l’agent doivent donc s’abstenir de quelque comportement que ce soit qui pourrait nuire à cette action commune et, à ce titre, l’article L134-4 du Code de Commerce précise que « le mandant doit mettre l’agent commercial en mesure d’exécuter son mandat ». Dès lors, l’appréciation de la faute grave de l’agent commercial nécessite également d’examiner le comportement du mandant.

Si le commettant a manqué à ses obligations et provoqué ainsi la faute de l’agent commercial, ce dernier ne peut être privé des indemnités de rupture découlant des articles L134-11 et L134-12 du Code de Commerce (Cass. Com. 8 juin 2017, n° 15-29313). Ainsi, aucune insuffisance d’activité ne peut être valablement reprochée à l’agent lorsque le mandant ne règle pas toutes les commissions et n’envoie pas la totalité des collections (Cass.  Com. 9 février 1971, n° 69-10167) ou quand sa réorganisation ne lui permet plus de répondre aux demandes ou appels d’offre des clients (CA Aix-en-Provence 28 décembre 2011, Leclere/HDS, arrêt n° 2011/524).

De même, la collaboration ponctuelle avec une entreprise concurrente n’est pas fautive lorsque le mandant se place dans l’impossibilité de fournir un produit à un client (CA Aix-en-Provence 18 avril 2012, Guy Sorne Export/Cidres du Jardin, arrêt n° 2012/185).

Enfin, le traitement par l’agent d’opérations commerciales pour son propre compte n’est pas fautif s’il est provoqué par la collaboration illicite du mandant avec ses sous-agents commerciaux (Cass. Com. 27 septembre 2017, pourvoi n° 14-25100).

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