L’ABANDON DE CIRCUIT DE DISTRIBUTION PAR LE MANDANT

L'ABANDON DE CIRCUIT DE DISTRIBUTION PAR LE MANDANT

L’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry du 3 juin 2025 (n° 22/01578) est un bon exemple des conséquences qu’attachent les juges à l’intérêt commun du mandat de l’agent commercial lorsque le mandant est amené à abandonner l’approvisionnement du type de clientèle avec lequel l’agent commercial réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires.

Le contrat d’agence commerciale est fondamentalement un mandat d’intérêt commun, impliquant un devoir de loyauté renforcé des parties. Son but est la constitution et l’exploitation en commun d’une part de marché, chacun des partenaires bénéficiant des efforts de l’autre : pour la mandant, en réalisant un chiffre d’affaires, et pour l’agent, par la perception de commissions sur les ventes ainsi réalisées. Chacune des parties au contrat d’agence commerciale doit donc s’abstenir de quelque comportement que ce soit qui puisse porter atteinte à la clientèle commune ainsi qu’à l’entreprise de son partenaire (CA Aix-en-Provence 6 avril 2023 Galais BJ/La Maille Française, arrêt n° 2023/47 ; 11 décembre 2014 Teisseire/Caddie Strasbourg, arrêt n° 2014/510 ; 5 septembre 2012 Vaissié/Lecico France, arrêt n° 2012/324 ; etc.).

Si naturellement le mandant est libre de modifier sa politique de distribution, c’est cependant à la condition de respecter l’obligation mise à sa charge par l’article L134-4 du Code de Commerce, de mettre en mesure son agent commercial de poursuivre l’exécution de son mandat, c’est-à-dire de prendre toute mesure utile pour lui permettre de maintenir la part de marché qu’il avait créée et entretenue pour son commettant. Si la modification de la politique de distribution intervient brutalement et unilatéralement, en impactant notablement l’activité de l’agent commercial, la jurisprudence considère qu’elle équivaut à une rupture des relations contractuelles, exclusivement imputable à la mandante, qui doit alors indemniser son agent commercial (Aix-en-Provence 5 septembre 2019 SAS Lebrun/Prime, arrêt n° 2019/298 ; 28 décembre 2011 Leclere/HDS, arrêt n° 2011/524 ; Lyon 23 octobre 2008 BDP/Fontanex, arrêt n° 07/193 ; etc.).

Tel était bien le cas dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry du 3 juin 2025. La société mandante, pour des raisons économiques, avait décidé unilatéralement, sans la moindre concertation avec son agent commercial, de cesser de vendre ses produits via les sites de vente en ligne jusqu’à présent exploités par l’agent commercial, en privilégiant la clientèle traditionnelle, c’est-à-dire le réseau CHR. Son caractère brutal, unilatéral et préjudiciable à l’agent commercial amène la Cour à considérer que le rupture des relations contractuelles est exclusivement imputable à la société mandante, aux termes d’un attendu qui ne souffre aucune critique : « En tout état de cause, il est de jurisprudence constante que si le mandant peut être amené à adapter les termes du contrat en raison de circonstances économiques ou structurelles légitimes, comme c’est le cas en l’espèce, cette légitimité ne saurait l’exonérer de ses responsabilités envers son agent commercial dès lors que les modifications opérées ont des conséquences graves pour celui-ci, et en particulier lorsqu’elles se traduisent par une baisse importante de ses commissions. Il en est de même lorsque ses modifications ont pour effet de désorganiser la relation contractuelle ou d’en altérer gravement les conditions économiques, comme en l’espèce (voir sur ce point notamment : Cour de Cassation, 6 novembre 2012, n° 11-25481) … ».

Cette décision, en parfaite conformité avec la jurisprudence d’application de l’article L134-4 du Code de Commerce, mérite une pleine approbation.

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